Les Petits Papiers : Espace & Adaptabilité avec Lucie Poulet

Publié par astu 'sciences, le 20 avril 2021   1k

"Les Petits Papiers" : une série d'articles à thème donnant la parole aux scientifiques, chercheurs ou passionnés des sciences.  Les petits papiers, ce sont des entretiens retranscrits sous formes d’articles sur des thématiques scientifiques et diverses.

Pour sa première édition, la série abordera la thématique de l’Espace.  Aujourd'hui, c'est à travers un entretien réalisé avec Lucie Poulet, post-doctorante au sein du Space Kennedy Center à la NASA, que nous aborderons la production de nourriture en boucle fermée dans l'espace.


Bonjour Lucie, pourriez-vous nous parler de l'essence de vos recherches et du travail que vous avez effectué depuis le début de vos études sur la production de nourriture ?

Mon travail porte essentiellement sur la production de nourriture. Pour produire de la nourriture, il est nécessaire d’avoir accès à des organismes vivants comme des micro-algues. Produire à partir de simples réactions physiques et chimiques n’est pas possible.

Certains projets envisagent d’utiliser des animaux, mais ce sont des organismes encore plus complexes. Il est plus aisé de modéliser des micro-algues. Les systèmes fonctionnent mais la recherche n’est pas encore au stade où l’on peut avoir l’intégralité d’une boucle fermée dans l’espace. Le but de la modélisation est d’essayer de caractériser les systèmes. En résumé, cela fait une dizaine d’années que je travaille sur ces sujets-là, d’un point de vue ingénieur. Je ne suis pas biologiste ni spécialiste du vivant mais je comprends leur manière de fonctionner car je les utilise pour réaliser des modèles, construire des systèmes qui vont optimiser leur croissance.

Entre temps, j’ai participé à quelques simulations martiennes, une d’une durée de 4 mois et trois autres qui ont duré deux semaines. Mais ce n’était pas lié directement à mon activité principale.


Travaillez-vous toujours sur votre étude post-doctorante ? Ou avez-vous d’autres projets en parallèle ?

Mes recherches sont menées principalement sur l'interaction entre photosynthèse et ventilation dans les environnements où la gravité est inférieure à la gravité terrestre. De nombreux tests en laboratoire sont effectués. Je possède un modèle de base, dont je fais varier certains paramètres afin d’observer les réactions.

Au sein du Kennedy Space Center, je travaille dans une équipe dont la principale mission est la production de nourriture dans l’espace. Nous nous occupons des expériences sur la Station spatiale Internationale . La NASA gère deux systèmes de croissance de plantes sur la station :  le système VEGGIE et le système APH, pour Advanced Plants Habitat.

Dans VEGGIE, il est possible de faire pousser jusqu’à 6 plantes. En revanche, pour le système APH, on parle en terme de surface disponible qui, ici, est de 0,3 m2. La surface est relativement de petite taille mais l’idée est de démontrer le fonctionnement du système pour pouvoir, par la suite, le développer sur des systèmes de plus grande envergure.


Vos thèses sont-elles conduites par des valeurs , une certaine éthique responsable et respectueuse de l’environnement ? Est-ce une conscience d'éco-responsabilité qui vous a conduit dans votre orientation scientifique ?

Et bien, il me semble que c’est plutôt l’opposé. Je viens d’une famille où la prise de conscience environnementale est importante, j’ai donc toujours été sensible à la protection de l’environnement et tous les enjeux qui l’entourent.

Malgré tout, je n’étais pas prédestinée à travailler dans un domaine touchant à cette problématique. Ce qui m’intéressait était le domaine du spatial. 

L’Agence Spatiale Européenne a mis en place le projet MELISSA, que j’ai, par la suite, découvert. Ce projet a pour but de développer un système régénératif avec des organismes vivants en boucle fermée. Les micro-organismes dégradent les déchets de l’équipage, les transforment en éléments simples pouvant être assimilés par des plantes et des micro-algues. La photosynthèse des plantes et des micro-algues permet ainsi le renouvellement de l'air et l'équipage peut se nourrir des plantes et des micro-algues. 

© The European Space Agency

Avant mon stage au sein de l’agence spatiale européenne, je ne connaissais pas l’existence de cette typologie de projets ni de cette branche de recherches. Plus le temps passe et plus les synergies entre ce que l’on peut faire sur Terre et ce que l’on fait dans le spatial sont évidentes.

L’avantage d’effectuer l’ensemble de ces recherches dans l’espace, est le changement de cadre. On est face à un environnement extrême, hostile et qui ne possède que des ressources extrêmement limitées sans aucune zone tampon. Sur Terre, l’atmosphère, les océans et le sol font office de zones tampon. Tout ceci n’est pas valable dans l’espace, la moindre variation dans les paramètres environnementaux peut avoir des conséquences dramatiques et déranger l’équilibre de l’écosystème provoquant la mort des organismes.

Il faut être capable de reproduire ces écosystèmes de manière fiable et robuste, prédire les différents phénomènes qui vont se produire et de construire un système résilient face au moindre problème. Les contraintes du spatial dans l'espace sont telles, qu'on est obligés d'innover pour trouver des solutions viables, beaucoup plus que si on restait dans un cadre strictement terrien.

Cette étude a t-elle un but uniquement extraterrestre ou , aurait-elle possibilité d’être déclinable sur Terre ?

De nombreuses applications ont déjà mis en place sur Terre, par exemple dans le traitement des eaux. 

Le système Biostyr™, utilisé par VEOLIA dans de nombreux centres de traitement des eaux en Europe, est dérivé des recherches dans le cadre du projet MELISSA de l’Agence Spatiale Européenne. De la même manière, la station CONCORDIA possède un système de traitement des eaux. L’eau y est traitée et recyclée directement sur place depuis environ une dizaine d’années de cela et tout fonctionne parfaitement depuis.




Les systèmes de croissance de spiruline sont une des autres applications terrestres importantes. La micro algue spiruline est assez riche en protéines, c’est un très bon complément alimentaire.

Elle peut représenter un très bel atout dans des pays où la famine et la malnutrition existent. Une équipe du projet MELISSA a, notamment, développé un projet d’alimentation à base de spiruline au Tchad. Ils ont enseigné au populations des milieux ruraux à la cultiver et à la faire avec les moyens qu’ils avaient sur place, c’est-à-dire sans bioréacteurs. 

La production de nourriture en environnement contrôlé a ouvert la voix aux applications  d'URBAN FARMING (ou fermes verticales). Les premières personnes à se pencher sur ce sujet, travaillaient la plupart dans des programmes spatiaux ayant pour but la pousse de plantes dans l’espace : environnement confiné, lumières avec diodes électro-luminescentes, ressources limitées en eau, régulation de la température et de l’humidité. À l’heure actuelle, un nombre incalculable de projets de fermes verticales et de cultures en ville se développent. De nombreux séminaires entre chercheurs du domaine spatial et agriculteurs urbains ont lieu, ce qui permet d’échanger et de coopérer sur de nombreux points. Il faut garder en tête que la recherche spatiale n’a pas uniquement pout but l’espace.


Question annexe : Le confinement a-t-il eu un impact sur l’avancée de vos recherches ?

D’une certaine manière, il est évident que cela a quelque peu chamboulé mes recherches. Malheureusement l’accès au laboratoire n’a pas été autorisé pendant six mois, ce qui a mis mon projet principal en attente. D’autres projets annexes, m’ont occupée pendant ces six mois jusqu’au retour au laboratoire qui s’est effectué en Octobre 2020.


Le processus à l’intérieur du laboratoire a-t-il changé ?

Toutes les expériences en cours ont dû être arrêtés fin mars et début avril. Durant un long moment, personne n’était autorisé à se rendre sur le site puis petit à petit, ils ont commencé à autoriser à nouveau les personnes travaillant sur des projets classés comme critiques pour la mission de la NASA. Soit les expériences qui touchent aux vols spatiaux. 

Pour ce qui est de mon cas, il a fallu un peu plus de temps pour qu’ils me fassent passer dans les projets critiques, je possède un temps limité en tant que post-doctorante. La NASA a donc autorisé mon retour en laboratoire.

Depuis la COVID-19, quelques changements ont eu lieu. Une réunion est donnée tous les matins pour informer sur la gestion du site, des salles et des différents horaires d’accès aux salle. Par la suite, le manager s’occupe de vérifier et de surveiller la bonne application des normes et des mesures sanitaires. L’organisation, au sein de l’établissement est beaucoup plus morcelée qu’auparavant.

Une dernière petite question, allez-vous continuer à travailler au Kennedy Space Center pour une longue durée ou avez-vous pour objectif de revenir et de poursuivre vos recherches en France ?

Je compte revenir. Mon départ s’est réalisé il y a deux ans, avec un contrat renouvelable d’une année supplémentaire. Il me reste encore un an maximum en Floride. 

Actuellement, je recherche du travail en France et en Europe et quand j’aurais trouvé, je travaillerais plutôt en Europe. Cela ne m’empêchera pas de revenir en Floride ou d’effectuer des collaborations dans l’avenir.


Retrouvez un lien vers les différentes applications terrestres du projet MELISSA divisées en trois catégories : ENVIRONMENT, AGRO FOOD et LIFE SCIENCES.

https://www.melissafoundation....


Cette semaine, retrouvez "Les Petits Papiers" quotidiennement afin d'en apprendre plus sur l'espace. 

Mercredi, les petits papiers revient pour un entretien effectué avec Alain Quilliot, directeur de laboratoire au sein de l'ISIMA/LIMOS, sur Espace & Transports. Nous aborderons les questions de mobilité et véhicules intelligents et leur possible évolution dans le spatial.