La p'tite pastille - La Terre vue de l'espace !

Publié par astu 'sciences, le 26 janvier 2021   920

La p'tite pastille, le podcast d'astu'sciences qui vous emmène sur nos évènements. Aujourd'hui, retrouvez le cinquième article de notre série La p'tite pastille en collaboration avec l'Onde Porteuse : la Terre vue de l'espace !  

Dans cette pastille sonore, nous vous emmenons à Courts de Sciences écouter les débats insufflés par les courts-métrages sur cette thématique. 

Et pour aller plus loin, lisez Pierre Mossant, directeur du Conservatoire d'espaces naturels d'Auvergne, qui nous raconte les différentes actions menées pour protéger la biodiversité et le vivant. 


Pour commencer, je vous propose de vous présenter et de présenter votre structure. 

Je m’appelle Pierre Mossant, je suis le directeur du conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne. C’est une association à but non lucratif qui appartient à un réseau national des conservatoires d’espaces naturels. Le conservatoire a comme vocation de participer à la préservation de la biodiversité, la faune, la flore, le patrimoine naturel ainsi que l’ensemble des services environnementaux et écosystémiques que nous rendent les espaces naturels.

Le conservatoire est une association avec 400 adhérents, dont une centaine de bénévoles réguliers, mais c’est aussi une entreprise de l’économie sociale et solidaire, puisque l’association emploie des salariés. Je suis, moi-même, salarié du conservatoire. Nous sommes au nombre de 36 actuellement mais bientôt, nous serons 39 personnes à travailler au conservatoire. 

L’action du conservatoire passe par différentes actions, la première et la plus importante est de protéger des sites qui sont intéressants parce qu’on y trouve des espèces de plantes ou d’animaux. Soit en achetant les terrains et en devenir propriétaire pour pouvoir préserver les zones, soit en passant des accords, des conventions avec les propriétaires pour louer des terrains. Ces propriétaires peuvent être des particuliers, des communes ou des entreprises. Il est alors possible de mettre en place des actions de remise en état des sites s’ils sont abîmés, qu’on appelle restauration écologique, des actions d’entretien et des suivis à long-terme pour voir comment évolue les sites. 

Le deuxième axe du conservatoire est d’accompagner les politiques publiques, c’est-à-dire en travaillant avec les communes, avec les départements, avec la Région, avec certaines entreprises privées pour leur donner des conseils sur la préservation de la biodiversité sur leur terrain.

Le troisième axe est celui du partage et de l’échange, que cela soit pour le grand public à travers des animations, des sorties, la production de documents mais aussi en animant des réseaux de professionnels sur certaines thématiques.

Nous avons fêté les 30 ans du conservatoire l’année dernière. Nous travaillons à l’échelle de la Région Auvergne-Rhône-Alpes avec nos autres collègues des 5 autres conservatoires et à l’échelle nationale avec notre fédération.


Pour vous, quel est l’impact du réchauffement climatique sur l’évolution de la biodiversité tant au niveau de la faune que de la flore ? Quels sont pour vous les écosystèmes les plus fragiles en France ?

L’impact du changement climatique est multiple. À l’échelle planétaire, cela se traduit par un réchauffement de la planète, mais il se traduit par d’autres effets. Les modèles établis par les climatologues démontrent que l’on se dirige vers une augmentation de la fréquence des phénomènes « hors-normes » : sécheresse, grosses pluies,..

Le premier effet du réchauffement climatique globale conduit à ce que certaines espèces soient concurrencées par d’autres. Par exemple, chez nous, les espèces montagnardes sont des espèces qui arrivent à vivre en montagne parce qu’elles se sont adaptées à l’environnement froid. Avec le réchauffement climatique, certaines espèces de plaine arrivent à vivre à plus haute altitude et viennent donc concurrencer les espèces de montagnes. Quand on est en Auvergne, avec des montagnes qui montent jusqu’à 1700 mètres, à un moment donné, les espèces de montagnes vont être éliminées car elles ne pourront plus monter en altitude. On observe partout en Europe un déplacement des espèces en altitude ou du Sud vers le Nord. Chez les insectes, on voit certaines espèces, d’origine méditerranéenne, qui viennent chez nous. Nous faisons face à une modification de la faune et de la flore qui va se poursuivre dans les décennies à venir. 

L’impact est beaucoup plus grave sur les forêts puisque les arbres ne peuvent pas se déplacer, le changement climatique va trop vite. Nous avons de très grandes inquiétudes sur l’état de santé des forêts, et nous commençons à observer dans des forêts françaises un taux de mortalité important pour certains arbres dû à une succession des épisodes de sécheresse. Si certaines forêts venaient à disparaitre, il faudrait de nombreuses décennies pour qu’elles soient remplacées et que d’autres espèces puissent y pousser.

Crédits photo © photoCENAuvergne

L’autre élément est la modification des précipitations. Les pluies vont tomber de manière différente, et au delà de l’aspect température, s’il fait plus chaud, les arbres et la végétation transpirent plus. La température en augmentation générant plus de transpiration et moins de pluie, il y a un double effet de fragilisation de la végétation. Il y a aussi des effets comme la perte de synchronisation biologique entre des prédateurs et leurs proies (la naissance des jeunes mésanges et la présence des chenilles par exemple).

Pour répondre à la question sur les écosystèmes les plus fragiles, on pense, en Auvergne, aux milieux de montagnes comme les tourbières, qui abritent des espèces liées à des conditions froides et à l’humidité, elles risquent d’être fragilisées ou de disparaitre. J’ai cité aussi les forêts qui sont très fragilisées. A l’échelle mondiale, ce qui rend la situation difficile aujourd’hui pour la biodiversité, c’est la concomitance entre le changement climatique et l’impact des activités humaines : consommation d’espaces par l’urbanisation, pollution de l’eau, de l’air, du sol,..


Existe-il aujourd’hui des solutions concrètes pour préserver le vivant et la biodiversité ? Au sein du CEN, quelles actions mettez-vous en place pour la préservation ?

Aujourd’hui, les actions et les stratégies qui sont menées au plan mondial, en France et en Auvergne sont principalement de deux natures. La première vise à constituer des lieux que l’on va pouvoir protéger la biodiversité, qui vont être des réservoirs de biodiversité. Ce sont les parcs nationaux, les réserves naturelles, et quand le conservatoire intervient en achetant des terrains ou en passant des conventions avec le propriétaire, cela relève du même objectif. Sur ces sites, on essaye de préserver au mieux possible la biodiversité, en faire un réservoir où les espèces vont pouvoir être présentes et pourront se déplacer vers les secteurs voisins. Malheureusement, on comprend vite que cette démarche est insuffisante parce que si on ne protège que des morceaux de réserves, c’est comme si l’on créait des sortes de zoos un peu partout et cela ne permet pas de protéger globalement la biodiversité. Il faut compléter cette action en ayant sur l’ensemble du territoire, en Auvergne et en France, un mode de développement qui permette de mieux respecter le vivant. Cela passe par la limitation de l’usage des produits chimiques dans les activités agricoles, dans l’alimentation pour éviter les problèmes de pollution de l’eau, par le fait de laisser de la place à la nature lors de l’aménagement des maisons, des lotissements… En un mot, rendre les espaces dans lesquels nous vivons plus perméables à la nature. C’est par toutes ces actions très diffuses, mais à conduire sur l’ensemble du territoire, que l’on peut contribuer à préserver durablement la biodiversité. Chacun d’entre nous peut jouer un rôle, par exemple lorsque l’on a une maison, un jardin en utilisant moins de produits de traitement ou laissant des secteurs de friches favorables aux insectes. Une autre responsabilité en tant que consommateur est aussi d’être attentif aux produits que l’on achète, en lisant les étiquettes, en regardant d’où viennent les produits, en achetant des produits de saison pour essayer de limiter l’impact de nos achats sur l’environnement. Beaucoup de produits se déplacent énormément, et sont générateurs de fortes émissions de carbone.


Comme vous le savez, cette interview est accompagnée d’un podcast qui a été réalisé pendant la Fête de la Science dont le sujet est « La Terre vue de l’espace ». Pour vous, d’un point de vue de l’espace, est-ce qu’on peut avoir une étude du vivant ? Est-ce possible grâce aux nouvelles technologies ? Comment peut-on voir l’impact de l’activité humaine sur le vivant et la biodiversité ?

À l’échelle de la planète, les images vues de l’espace, et notamment des satellites, ont apporté énormément d’informations et continuent à être utilisées. Au niveau d’une association comme le conservatoire, nous ne nous servons pas des images des satellites, mais par contre, nous savons qu’elles sont très utiles pour avoir une vision globale par exemple de la déforestation en Amazonie, en Afrique ou en Asie. On a ainsi un suivi qui permet de voir les secteurs sur lesquels la déforestation est en cours afin de pouvoir essayer de convaincre les différents gouvernements concernés d’y mettre fin. Idem sur la fonte des glaces sur les calottes glaciaires au Pôle Nord ou au Pôle Sud, on peut les mesurer et donc avoir un impact du réchauffement climatique. On peut aussi mesurer la température des océans et leur réchauffement, voir comment se développe le plancton dans les océans, ce qui nous donne des indications. Autre exemple sur la mortalité des forêts en Europe, elle peut être suivie par ces images satellitaires et il y a certainement, tout un tas d’autres usages. C’est effectivement très intéressant de pouvoir suivre l’état de la planète. 

Pour une association comme la nôtre, nous utilisons également de nouvelles technologies très intéressantes. C’est le cas de l’utilisation de drones qui nous permet de prendre des photos à la verticale et de mesurer de manière très fine l’évolution de la végétation sur un site. Avec des photos par drone, on arrive à identifier ce qu’on appelle les communautés végétales, le type de végétation, et en faisant cela régulièrement on peut mesurer à l’échelle de nos sites la modification de la végétation liée aux changements climatiques ou à des phénomènes météorologiques qui se répètent. On utilise aussi des relevés laser, technologie appelé le LiDAR, qui nous permet de mesurer la hauteur du sol malgré la présence de végétation à dix centimètres près. À partir de cela, il est très intéressant de construite un modèle numérique de terrain. Si l’on veut restaurer un marais en partie asséché en zone humide en bon état, il faut bien comprendre à quel endroit on va pouvoir intervenir pour boucher les fossés qui ont pu être réalisés pour l’assécher et arriver à stocker à nouveau de l’eau dans le marais. Ces modèles réalisés grâce au LiDAR sont très utiles car ils nous permettent de comprendre parfaitement comment circule l’eau en fonction de la topographie, ce qui peut parfois être difficile à analyser quand on est au sol. On utilise aussi des technologies nouvelles, en combinant les photos faites par les drones avec leur interprétation dans des logiciels d’information géographiques. On arrive à faire un travail très précis et aujourd’hui, ce sont des outils que l’on utilise quotidiennement dans nos actions.

Crédits photo © photoCENAuvergne

De ce que vous observez tous les jours au conservatoire, pouvez-vous envisager des perspectives encourageantes ?

Il y a, heureusement, des perspectives encourageantes même si on peut être, effectivement, inquiets sur certains aspects. Quand j’ai commencé à travailler, il y a environ une trentaine d’années, il y avait un certain nombre d’espèces menacés, je pense notamment à la loutre ou à des oiseaux, comme le faucon pèlerin ou le hibou grand duc, qui aujourd’hui ne sont plus menacées. Des programmes de protection ont été mis en place, il y a eu de l’information et de la communication avec l’ensemble des personnes, tout le monde s’est mobilisé et aujourd’hui, ces espèces ont réussi à reconquérir les territoires d’où elles avaient disparu. C’est le cas de la loutre, qui est présente dans beaucoup de rivières en France. On voit des signes très positifs. Il y a aussi une évolution très forte et une sensibilisation à la fois du grand public mais aussi des élus et des décideurs. Il y a quelques jours, le président de la République Emmanuel Macron a présidé un sommet international nommé le One Planet Summit , qui a rassemblé des chefs d’état lesquels ont porté un message fort de préservation de la biodiversité. Ce message n’est pas toujours suivi par les politiques avec autant d’ambition qu’on le voudrait mais cette sensibilité est en cours. Aujourd’hui, nous qui travaillons avec des élus dans les communes, nous observons que beaucoup de ces élus ont pris conscience des enjeux environnementaux. C’est la même chose pour beaucoup de citoyens, de chefs d’entreprises, etc. C’est plutôt positif. 

En revanche, ce qui reste compliqué, c’est que ce sont maintenant les éléments de biodiversité plus ordinaires qui sont en danger, et non les espèces rares d’il y a 30 ans. Cela nécessite donc de protéger des surfaces importantes, de relier les réservoirs de biodiversité en maillant l’ensemble du territoire de manière plus fine et plus dense. C’est ce deuxième enjeu qui est devant nous et qui nécessite de travailler à tous les niveaux géographiques, mais cela est plus difficile et il faut aller vite. On a face à nous ce changement climatique dont on ne mesure pas encore très bien les effets, mais que l’on constate sur les territoires. On ne sait pas comment l’anticiper, quels sont les bons moyens d’actions à mettre en place. Ceci étant, le monde dans lequel nous vivrons dans 50 ou 100 ans ne ressemblera pas à celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Il faut accepter ce changement car on ne pourra pas s’y opposer, c’est l’adaptation permanente du vivant au monde dans lequel il évolue. Il faut accepter cette évolution et arriver à la comprendre et l’accompagner pour faire en sorte que les conditions de vie, pour les jeunes et les générations qui arrivent, soient les plus agréables. Il faut, je pense, reconstruire d’autres relations au vivant. A ce sujet, on peut voir la pandémie de COVID-19, que nous traversons actuellement, comme une indication supplémentaire que l’environnement et la biodiversité sont en mauvaise santé. Il y a une phrase que l’on entend beaucoup répéter en ce moment qui est « il ne peut pas y avoir une humanité en bonne santé sur une planète en mauvaise santé ». Le prix du mauvais état de la biodiversité devra être payé par les humains, et plus encore par les plus fragiles d’entre nous. Il y a un effort de solidarité à faire, mais on peut être optimiste car l’on voit beaucoup de mobilisation partout sur la planète.

Propos recueillis par astu'sciences

Retrouvez la p’tite pastille, une pastille sonore accompagné d’un article pour en apprendre plus tous les mardis et les vendredis pendant un mois ! Les pastilles sonores ont été réalisées par l’onde porteuse : https://www.londeporteuse.fr/

Vendredi, la p’tite pastille revient pour un échange effectué avec Benjamin Van Wyk de Vries, chercheur au laboratoire Magmas et Volcans, pour nous en apprendre plus sur les cheminées volcaniques.