Les dispositifs de soins au sein de la privation de liberté : Le détenu, un patient comme les autres ?

Publié par Journal Décoder, le 27 août 2021   1.3k

Dr. Barbara Gonçalves1 (chercheuse) et la classe de 3ème4 du collège Albert Camus de Mme Dessolin2 (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article)

Article original/Original article: B. Gonçalves, « Les dispositifs de soins au sein de la privation de liberté : Le détenu, un patient comme les autres ? », in Soins et privation de liberté (dir. Jean-Baptiste Perrier), 2015, LGDJ, Editions du Centre Michel de l’Hospital

Institution :

  • 1Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l’Hospital, 41 Boulevard François Mitterrand, TSA 80403, 63002 Clermont-Ferrand Cedex 1
  • 2Collège Albert Camus, Rue du Sous-marin Casabianca, 63000 Clermont-Ferrand                            

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Résumé :

Tous les droits se trouvent limités lorsqu’une personne est en prison, y compris le droit à la santé. Depuis 1994, le détenu est pourtant soumis au régime de la sécurité sociale comme toute autre personne et est reconnu comme un usager du service public de la santé. Mais en réalité, l’accès aux soins est-il possible en prison et est-il identique à celui existant en milieu libre ?

Mots clés : santé ; prison ; droit

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 « Certaines personnes estiment qu’en nourrissant et en entretenant bien les détenus on se conforme à la loi, et que cela suffit. Si avili[i] qu’il soit, tout individu exige d’instinct le respect de sa dignité d’homme. […] Et puisqu’il en est un, on doit le traiter comme tel. »

Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts, 1862

Le livre de Véronique Vasseur « Médecin-chef à la prison de la santé[1] », a eu un impact important sur la réputation des prisons françaises. Elle reprend les mots de Dostoïevski et démontre qu’au XXème siècle, le droit à la santé en détention est loin d’être assuré de manière optimale, malgré des évolutions majeures depuis le début des années 1990.

Plusieurs rapports ont été rédigés pour alerter le législateur des risques de pandémie. Ces risques sont dus aux pathologies[ii] développées dans les établissements pénitentiaires, et de l’état de santé dégradé des personnes privées de liberté. Partant, la population carcérale[iii] s’est vue qualifiée de « population à risque », les détenus étant souvent issus de « milieux où sévissent les problèmes sociaux les plus graves » et n’ayant que « rarement accès aux dispositifs d’éducation sanitaire et de soins avant [leur] incarcération »[2].

Ceci a conduit le législateur à intervenir pour permettre aux personnes privées de liberté d’avoir accès à un système de soins comparable à celui du milieu libre. Depuis une loi de 1994[3], les détenus dépendent du régime commun de sécurité sociale. Le législateur a aussi et confié au service public hospitalier la charge d’assurer les examens de diagnostic et les soins, dispensés aux détenus. Cela aurait dû faire du prisonnier un usager du service public de santé comme les autres mais, en pratique, le système ne fonctionne pas comme il devrait.

Pourtant, protéger la santé des détenus est une question primordiale, le traitement réservé à ces derniers montrant la place qui leur est accordée dans la société et si celle-ci est prête à leur laisser une seconde chance une fois la peine accomplie. C’est pourquoi, la loi pénitentiaire adoptée en 2009 confirmera le droit des détenus à l’accès aux soins[4].

Avec ces deux lois, en vingt ans, un vrai système de soins a pu émerger[iv] (I) Cependant en raison des lacunes du système judiciaire comme pénitentiaire, les détenus restent plus touchés par la maladie que la population libre (II).

I. Une prise en compte croissante de la santé au sein de la détention

En quelques années, les prisons et le système de santé ont évolué. Cela a permis la mise en place d’unités de soins en prison (A) et d’aménagements de peines pour raison médicale (B).

A. Le développement progressif des unités de soins dans les établissements pénitentiaire

La sécurité en prison oblige l’administration a encadré les droits des prisonniers. Leurs droits sont souvent plus réduits que ceux des personnes libres. Le système de santé a toutefois connu de nettes améliorations pour arriver à un accès aux soins globalement satisfaisant des personnes privées de liberté. Malgré les lacunes dues aux établissements pénitentiaires eux-mêmes, ne permettant pas toujours l’aménagement matériel nécessaire aux consultations et à la préservation du secret médical, le détenu est presque devenu un patient comme les autres.

Des unités de soins en détention et des unités spécifiques en établissements hospitaliers se sont progressivement développées pour construire un système complet et cohérent. La collaboration entre les hôpitaux et les prisons permet de mieux soigner les prisonniers, mais le système de soin peut encore s’améliorer

Les différents soignants ont parfois du mal à collaborer. Ceci entrave le suivi médical du détenu. Surtout, certains détenus se heurtent à la barrière de la langue. Il est difficile pour eux d’expliquer leurs symptômes ou de comprendre l’information médicale. Si le recours à un interprète est prévu, il peut prendre du temps. Même s’il est possible par téléphone, il ne permet pas d’instaurer une relation de confiance entre le praticien et son patient, ni de préserver le secret médical. De plus, l’absence de maîtrise de la langue empêche toute thérapie psychiatrique.

De plus, si le nombre de personnels médicaux affectés dans les unités de soin en prison n’a cessé d’augmenter, le système carcéral est, comme le milieu libre, touché par le manque de praticiens dans certaines zones géographiques ou certaines spécialités. En plus, les postes de médecin en prison ne sont pas toujours attirants, ce qui rend le recrutement plus difficile.

Enfin, l’absence de spécialistes s’associe à la difficulté d’organiser des extractions médicales. Le développement de la télémédecine qui simplifierait l’accès aux spécialistes a été proposé mais suppose un investissement financier et matériel important.

B. Les possibilités d’aménagement de la peine privative de liberté pour raison médicale

Parallèlement, au fil du temps, des aménagements de peine sont apparus pour imposer des soins aux détenus (1) ou pour permettre au détenu de sortir de prison pour suivre un traitement médical adapté ou en raison d’un état de santé incompatible avec les conditions de détention (2).

1. Les aménagements de peine à vocation sécuritaire

Depuis longtemps déjà, le Code pénal prévoyait déjà « l’obligation de soin », mesure prise en compte lors des demandes d’aménagement de peine. La loi du 17 juin 1998[5] est allée plus loin et a permis d’imposer un suivi médical au condamné sous peine de sanction, « l’injonction de soins ». Cette possibilité concerne de plus en plus d’infractions aujourd’hui.

Mais ces mesures ont rapidement montré leurs faiblesses, étant régulièrement utilisées par les condamnés comme un moyen d’éviter l’incarcération, sans réelle volonté de réinsertion.

2. Les aménagements de peine à vocation humanitaire

Au-delà du caractère sécuritaire de l’injonction de soin, l’état de santé peut être pris en compte pour le prononcé d’un aménagement de peine favorable du détenu. Toutefois, ces aménagements dépendent, pour certaines infractions, des résultats d’un examen psychiatrique du détenu ou du suivi d’un traitement médical ayant été sollicité par le juge.

En plus de ces aménagements de peine classiques, un aménagement de peine spécifique a été mis en place par la loi du 4 mars 2002[6] : la suspension de peine pour raison médicale, permettant au détenu de sortir de prison pour suivre un traitement lourd ou car son état est incompatible avec la détention. Si cette mesure a le mérite d’exister, elle reste cependant difficile à obtenir pour le détenu.

Ces dernières années, les dispositifs de soins au sein de la privation de liberté se sont développés pour parvenir un dispositif de soins complet et permettre la prise en compte de l’état de santé du détenu pour assouplir l’exécution de la peine privative de liberté. Néanmoins, ces dispositifs restent en eux-mêmes imparfaits. Surtout, les défauts des systèmes pénitentiaire et judiciaire nuisent de manière notable à la santé des détenus.

II. Des « entraves » à l’amélioration significative de l’état de santé des détenus

En parallèle de l’amélioration du système de soin carcéral, des problèmes nouveaux sont apparus et se sont aggravés[v]. Outre le fait que les détenus soient une population à risque déjà plus touchée par la maladie avant l’emprisonnement, les dégradations des conditions de détention (A) et le nombre croissant de détenus atteints de troubles mentaux (B) entravent fortement l’amélioration de l’état de santé des personnes privées de liberté.

A. Les conditions de détention, facteur de détérioration de l’état de santé des détenus

En lui-même, l’enfermement est créateur de nombreux facteurs de stress, tels que la perte de liberté et des repères identitaires sociaux, la honte de l’emprisonnement, la violation de l’intimité, l’absence d’activité ou encore la misère affective. L’emprisonnement devient alors synonyme d’angoisse pouvant conduire à l’apparition de certaines maladies comme les troubles sensoriels, de la digestion ou musculaires, symptômes souvent psychosomatiques[7].

Certains régimes de détention, telle la mise à l’isolement ou en cellule disciplinaire, peuvent également entraîner le développement de troubles psychiatriques.

Par ailleurs, les conditions matérielles de détention et la vétusté[vi] des établissements pénitentiaires aggravent certaines pathologies, psychiatriques comme somatiques, quand elles ne les font pas naître. Loin d’être sans danger, le caractère pathogène du milieu carcéral peut parfois se révéler fatal, notamment pour les malades suivant une chimiothérapie ou atteints du VIH (Virus qui peut conduire au développement du Sida).

Cette situation s’est par ailleurs amplifiée en raison d’une hausse de la surpopulation carcérale. Cela empêche toute intimité et multiplie les risques de conflit, nuisant à la stabilité du détenu. L’objectif de l’encellulement[vii] individuel est loin d’être atteint. Pourtant puisqu’ « il vise à offrir, à chaque personne incarcérée, un espace où elle se trouve protégée d’autrui et où elle peut donc ainsi préserver son intimité et se soustraire, dans cette surface, aux violences et aux menaces des rapports sociaux en prison »[8], il serait utile à la protection de la santé, notamment psychologique du détenu.

S’ajoute à ces problématiques, le fait pour le détenu d’être, trop souvent, confronté à la folie, insupportable et contagieuse de ses compagnons de cellule.

B. L’augmentation du nombre de personnes atteintes de troubles mentaux en détention

Si la prison intensifie les maladies mentales, il y a aussi de plus en plus de personnes déjà touchées mentalement condamnées à la prison. La nouvelle rédaction des articles 122-1 et 122-2 du Code pénal faisant une différenciation entre « l’abolition du discernement »[viii] et « l’altération du discernement »[ix] au moment des faits a conduit à la condamnation de nombreuses personnes atteintes de troubles, démontrant ainsi une faiblesse du système judiciaire. Les experts favorisent l’altération du discernement et les tribunaux ne souhaitent pas prendre le risque de préférer une hospitalisation à un emprisonnement. D’autant que la baisse des capacités en hospitalisation dans les services de psychiatrie a encouragé les magistrats[x] dans leur démarche puisqu’ils ont pris conscience de l’insuffisance de lits et de structures de prise en charge à l’extérieur de la prison.

Pour toutes ces raisons, alors que le taux d’irresponsabilité pénale[xi] pour cause de maladie mentale était de 17% au début des années 1980, il est passé à 0,17% en 1997 pour ne connaître quasiment plus de changement. On remarque alors aujourd’hui que le taux de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé en prison que dans la population générale et que 20% des prisonniers au moins sont atteintes de maladies psychiatriques que seul l’hôpital peut soigner ou accompagner[9].


[1] Véronique VASSEUR, Médecin-chef à la prison de la santé, 9ème éd., Le livre de poche, 2012, 215 p.

[2] Haut Comité de la Santé Publique, Santé en milieu carcéral, Rapport sur l’amélioration de la prison en charge sanitaire des détenus, janvier 1993, p. 18.

[3] Loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale

[4] Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, JORF n°0273 du 25 novembre 2009, p. 20192.

[5] Loi n°1998-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, JORF du 18 juin 1998, p. 9255.

[6] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

[7] Haut Comité de la Santé Publique, Santé en milieu carcéral, Rapport sur l’amélioration de la prison en charge sanitaire des détenus, janvier 1993, p. 20.

[8] Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 24 mars 2014 relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, JORF du 23 avril 2014.

[9] Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, La santé et la médecine en prison, Avis n°94, 2006, p. 25.


[i] Emprisonné.

[ii] Maladies.

[iii] En prison.

[iv] Être créé.

[v] Rendre plus grave, condamnable, pénible, dangereux, violent, etc.

[vi] Qui est vieux, dépassé ou en piteux état.

[vii] Enfermer dans une cellule.

[viii] La personne malade n’est pas responsable de ses actes judiciairement parlant.

[ix] Si la personne est malade elle reste responsable de ses actes mais les juges doivent en tenir compte.

[x] Juges exerçants la profession de rendre la justice ou de requérir au nom de l’État et de la loi.

[xi] Lorsqu’une personne ne peut pas être judiciairement punie.

Ont participé au travail d’écriture de cet article, en collaboration avec Dr. Barbara Gonçalves, chercheuse en droit public (par ordre alphabétique) : Sous l’encadrement de Mme Dessolin,  ALIC Izzet, ALTIN Rumeysa, BAKHANA Sokaina, BALCI Ayhan, BARROUZ Hanaa, BEKKALI Bilal, BEN HASSEN Bayram, BENAYAD Lyna, BOURHIM Badr, CINAR Samet, DALYAN Irem, DELAROCHE Ludovic, EN-NAOUR Ikram, GHEZI-DUVEAU Lubna, GUL Eda-Nur, KERSSANE Adam, MARJANI Zakaria, MIOLANE Aleyna, SATILMIS Ravzanur, TOURRETTE Louis, ZARROUK Saad

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Comment citer cet article : Barbara Gonçalves scientifique et la 3ème4 du collège Albert Camus de Clermont-Ferrand (FR), Les dispositifs de soins au sein de la privation de liberté : Le détenu, un patient comme les autres ?, Journal DECODER, 2021-06-30.

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