Un panache mantellique à l’origine de la fermeture d’un océan

Publié par Journal Décoder, le 23 janvier 2023   1.2k

Maëlis Arnould1 (enseignante-chercheuse) et la classe de Terminale spécialité SVT du lycée Sainte Clotilde de Mme Nathalie Thierry-Chef2 (la liste des élèves est mentionnée en fin d’article)

Article original/Original article: Rodriguez, M., Arnould, M., Coltice, N., & Soret, M. (2021). Long-term evolution of a plume-induced subduction in the Neotethys realm. Earth and Planetary Science Letters561, 116798.

Institution: 1Laboratoire de Géologie de Lyon (LGL-TPE), Université Claude Bernard Lyon 1, 2 rue Raphaël Dubois, 69622 Villeurbanne Cedex
2Lycée Sainte Clotilde, 19 rue de Verdun 67083 Strasbourg Cedexù

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Résumé :

La théorie de la tectonique des plaques prédit que la lithosphère océanique disparaît au niveau des zones de subduction, où elle est entraînée dans les profondeurs du manteau. Mais comment s’initient les zones de subduction ? Des observations géologiques en Himalaya et en Arabie et des modèles numériques de convection mantellique suggèrent que la naissance du panache mantellique responsable du volcanisme actuel à l’Île de la Réunion aurait initié la zone de subduction responsable de la disparition de l’océan Néotéthys qui séparait l’Inde de l’Asie il y a 100 Ma (alors que les dinosaures peuplaient encore la planète), entraînant par la suite la formation de la chaîne himalayenne.

Mots clés : tectonique des plaques ; convection mantellique ; ophiolite ; panache mantellique ; initiation de subduction.

I. Introduction

La tectonique des plaques est une théorie décrivant les déplacements des continents et des océans à la surface de la Terre. Les évènements géologiques majeurs (volcanisme et séismes) se concentrent au niveau des limites des plaques.

Les zones de subductions correspondent aux limites de plaques tectoniques convergentes c’est-à-dire qui viennent à la rencontre l’une de l’autre. Ces zones se caractérisent par la plongée d’une plaque océanique (ou plaque plongeante) dans l’asthénosphère sous une autre plaque, dite chevauchante. Cette dernière peut être soit continentale, soit océanique. Dans ce dernier cas on parle de subduction intra-océanique (Fig. 1).

Les zones de subduction jouent un rôle prépondérant dans les mouvements tectoniques, en tirant les plaques qui y sont attachées dans le manteau terrestre. Les mouvements de convergence associés à l’activité des zones de subduction sont responsables à court terme d’éruptions explosives et de grands séismes, et à long-terme de la fermeture d’océans entiers et de collisions continentales à l’origine de chaînes de montagnes.

Figure 1 : Schéma d’une subduction intra-océanique
Figure 2 : Reconstruction de la Néotéthys entre 90 et 100 Ma

Les processus à l’origine du plongement initial d’une plaque lithosphérique dans le manteau sont encore mal connus d’autant moins dans le cas des subductions intra-océaniques, c’est-à-dire ayant lieu au milieu des océans. En effet, il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’initiation de subduction intra-océanique et, pour les subductions intra-océaniques passées, les plaques ont aujourd’hui disparu. Il subsiste donc très peu d’indices à la surface pour étudier l’initiation d’une subduction.

Un exemple récent de fermeture d’océan associée à l’activité d’une zone de subduction est celui de l’Océan Néotéthys, qui séparait l’Inde de l’Asie avant la collision de ces continents et la formation de l’Himalaya (Fig. 2).

Grâce à l’étude de roches (les ophiolites) qui ont enregistré cette fermeture, les géologues ont découvert que la disparition progressive de l’Océan Néotéthys entre 110 et 60 Ma était due à une subduction intra-océanique étendue sur plusieurs milliers de kilomètres : la Subduction Sud Néotéthys.

Cette subduction est née dans un environnement particulier : un manteau anormalement chaud. En effet, le manteau est animé de mouvements de convection qui mettent en mouvement les matériaux constituant le manteau. Le matériau chauffé en certains points à la limite entre le manteau et le noyau, remonte jusqu’à la base de la lithosphère. Ce matériau chaud constitue un panache mantellique (Fig. 3) qui s’accompagne d’émissions volcaniques formant un point chaud. C’est le cas actuellement pour le volcanisme de l’Ile de la Réunion qui correspond à l’activité d’un point chaud lié à un panache mantellique actif depuis 110 Ma.

La présence de ce panache mantellique à proximité de la subduction pourrait expliquer la naissance de cette subduction intra-océanique et son évolution. Pour vérifier cette hypothèse, une étude des traces géologiques de l’Océan Néotéthys a été menée. Par ailleurs, des modèles numériques de planète virtuelle ont été utilisés pour simuler des subductions induites par des panaches. Cet article propose de reconstruire la naissance et l’évolution de la subduction Sud Néotéthys, et montre qu’un panache peut initier une subduction majeure aux conséquences tectoniques importantes à l’échelle régionale.

Figure 3 : Coupe schématique montrant des mouvements de convection dans le manteau et un point chaud. Les échelles ne sont pas respectées.

II. Étude des traces géologiques de l’initiation de la Subduction Sud Néotéthys

1. Contexte géologique 

Aujourd’hui, la lithosphère océanique de l’Océan Néotéthys a complètement disparu dans le manteau, ce qui rend son étude difficile. Néanmoins, il en reste des traces au niveau d’ophiolites (Fig. 4). Les ophiolites sont un ensemble de roches appartenant à une portion de lithosphère océanique, charriée sur un continent lors d’un phénomène de convergence de deux plaques lithosphériques. Dans notre cas les ophiolites correspondent à des lambeaux de lithosphère océanique de l’Océan Néotéthys, qui ont échappé à la subduction et que l’on retrouve maintenant en surface dans les chaînes de montagne.

L’étude des ophiolites de la Néotéthys, que l’on retrouve aujourd’hui tout autour de l’Océan Indien (Fig.5), indique qu’au moins une subduction longue de plusieurs milliers de km – la subduction Sud Néotéthys – a causé la fermeture de cet océan. C’est cette subduction qui a fait l’objet de l’étude géologique présentée ici.

Figure 4 : Situation d’une ophiolite dans une chaîne de collision et coupe d’une ophiolite.

A la base des ophiolites on trouve des roches qui ont enregistré les conditions au moment de l’initiation de la Subduction Sud Néotéthys. Ce sont des roches métamorphiques, c’est-à-dire des roches résultant d’une transformation à l’état solide d’autres roches, en raison de variations de pression et/ou de température du milieu.

2. Observations

L’étude des roches métamorphiques permet de connaître les conditions de température et de pression dans lesquelles elles se sont formées ainsi que leur âge. Elles indiquent que la température du manteau est restée anormalement chaude autour de la jeune subduction pendant au moins 8 Ma. Cette anomalie thermique peut correspondre à l’influence d’un panache mantellique situé à proximité de la zone de subduction, dont l’identité est restée mystérieuse jusqu’à présent.Les âges relevés indiquent que la formation des ophiolites s’est produite sur le pourtour de la Néotéthys à des moments différents, ce qui doit également être expliqué. Il se trouve que l’initiation de la Subduction Sud Néotéthys, il y a environ 110 Ma, correspond à peu près aux traces les plus anciennes de l’activité du panache mantellique de l’île de la Réunion. Ceci questionne donc sur l’implication de ce panache dans l’initiation de la subduction Sud Néotéthys et les réorganisations des plaques tectoniques qui ont suivi.

Figure 5 : Géologie de la région étudiée et localisation des traces de l’Océan Néotéthys et de la Subduction Sud-Néotéthys.

3. Hypothèse

Nous allons tester l’hypothèse qu’une subduction initiée par un panache peut produire toutes ces observations, grâce à l’étude de l’évolution de subductions induites par des panaches mantelliques au moyen de modèles numériques.

III. Subductions induites par un panache dans des modèles numériques globaux.

1. Méthode

Des modèles numériques en géométrie sphérique permettent d’étudier les mouvements de la surface (tectonique des plaques) et de l’intérieur (convection mantellique) de planètes virtuelles ressemblant à la Terre (Fig. 6). Dans ces modèles, les océans, les continents, les panaches et les panneaux de subduction se déplacent librement et des subductions induites par des panaches se produisent naturellement. De plus, les caractéristiques des plaques tectoniques et des panaches sont comparables à la Terre. Ces modèles sont donc très précieux pour décrire comment une subduction induite par un panache se propage et participe à la fermeture de bassins océaniques et à une collision continentale. Nous avons sélectionné trois modèles légèrement différents, qui nous permettent de tester l’influence de certains paramètres de convection.

2. Résultats

Dans les trois modèles étudiés, la géométrie et la durée de vie des limites de plaques, et en particulier des zones de subduction, évoluent beaucoup (Fig. 6). Des subductions induites par un panache se produisent tous les 100 Ma en moyenne et dépendent de plusieurs facteurs pour pouvoir se produire : la force du panache, la nature de la lithosphère au-dessus du panache (âge, épaisseur), et le contexte tectonique régional.

Figure 6 : Exemple d’évolution d’une zone de subduction initiée dans un modèle de convection avec tectonique des plaques. (a) montre la topographie, et (b) l’intérieur du modèle le long des coupes A-B indiquées en (a).

Lors de l’initiation d’une subduction par un panache mantellique, l’âge de la lithosphère océanique varie entre 10 et 100 Ma. La plupart des événements se déroulent lorsqu’une lithosphère âgée et épaisse est amincie par l’érosion thermique causée par un panache stationnaire sous la lithosphère pendant plusieurs dizaines de millions d’années, ou lorsque celui-ci subit une augmentation d’activité liée à la fusion de plusieurs conduits.

Nous avons choisi de décrire les évènements qui se succèdent suite à la formation du point chaud visible sur la figure 6 :

  • Apparition d’un relief, lié à la déformation par le panache mantellique, de la lithosphère qui remonte.
  • Deux zones de subduction se forment en bordure du relief
  • Des dorsales se forment au droit du panache mantellique suite à un étirement de la croûte.
  • La subduction qui part vers le sud disparaît au moment où elle rencontre la dorsale océanique, car la croûte océanique est fine et ne peut pas subducter.
  • La subduction qui part vers l’est forme un arc qui s’étend.
  • Puis cette subduction contourne d’autres points chauds et se fractionne en deux. Certaines parties fusionnent avec d’autres subductions.
  • Un fragment de la subduction arrive jusqu’au continent qu’il contourne avant de disparaître progressivement (on parle d’obduction). C’est au moment de cette rencontre avec les continents que se forment les ophiolites qui vont donc avoir des âges différents.

IV. Reconstruction de la fermeture de l’Océan Néotéthys

Les modèles numériques et l’étude des roches métamorphiques situées à la base des ophiolites de la Néotéthys nous permettent de reconstruire l’évolution de la fermeture de l’Océan Néotéthys. Les modèles numériques montrent l’initiation de subductions à proximité des panaches mantelliques. Ces subductions se fragmentent en de nombreuses branches qui bougent très vite.

Les obductions, à l’origine des ophiolites se déroulent au fil du temps. En datant toutes les ophiolites visibles en rouge sur la Fig. 5, on peut constater qu’elles ne se sont pas formées toutes en même temps et les âges peuvent correspondre à ce que l’on observe dans le modèle numérique

Ainsi, en combinant les modèles et les observations, nous pouvons proposer un scénario de l’évolution de la Subduction Sud-Néotéthys ainsi que des cartes (Fig. 7) et des coupes géologiques (Fig. 8), détaillées ci-après.

1. Initiation de la Subduction Sud Néotéthys au niveau du panache de la Réunion

Lorsque la Subduction Sud-Néotéthys s’est initiée, le panache de la Réunion était localisé à proximité de l’Arabie il y a environ 110-105 Ma (Fig. 7). Nous suggérons donc que la subduction Sud Néotéthys s’est initiée en milieu océanique, au niveau de la tête du panache.

Figure 7 : Scénario de reconstruction tectonique de l’évolution de la Subduction Sud Néotéthys proposé dans cette étude. Les traits bleus représentent les traits de coupe montrés sur la Fig. 8

2. L’évolution à long-terme de la subduction Sud Néotéthys et de l’Océan Néotéthys.

Une fois formée, nous proposons, à partir de l’étude des modèles numériques, que la subduction s’est ensuite séparée en plusieurs segments avant de se propager dans l’Océan Néotéthys. Au moins trois segments indépendants auraient résulté de cette dislocation et auraient donné naissance aux ophiolites visibles aujourd’hui dans la région : une première branche se serait retirée vers l’Ouest, le long de l’Arabie et jusque dans la Mer Méditerranée. Une deuxième branche se serait propagée vers l’Est, le long de l’Inde. Une troisième branche initiée au Nord de l’Inde aurait donné naissance à la subduction fossile d’Amirante, au large des Seychelles (Fig. 7).

Figure 8 : Coupes lithosphériques à (a) 100 Ma, (b) 80 Ma et (c) 60 Ma selon les coupes indiquées en bleu sur la figure 7. Les échelles verticales ne sont pas respectées.

3. Conclusions

Grâce aux modèles, nous suggérons donc que la subduction Sud Néotéthys se serait propagée sur environ 6000 km pendant plus de 30 Ma à partir d’une subduction initialement située près d’une tête de panache. L’évolution distincte des branches de subduction pourrait également expliquer la diversité des âges de formation des ophiolites et des conditions de pression et de température enregistrées dans les ophiolites.

L’initiation de la Subduction Sud Néotéthys par le panache mantellique de la Réunion aurait eu des conséquences importantes sur la géodynamique de la région : l’augmentation de la longueur des segments de la Subduction Sud Néotéthys, maximale à environ 65 Ma, aurait favorisé l’augmentation des vitesses de convergence entre l’Inde et l’Asie, menant finalement à leur collision et à la formation de l’Himalaya, ainsi qu’à la réorganisation des limites de plaques dans toute la région. Ceci révèle que les panaches mantelliques affecteraient la tectonique des plaques sur le long-terme grâce à leur implication dans l’initiation de subductions.

4. Perspectives

Pour valider ce scénario d’évolution, il est nécessaire d’étudier de façon plus détaillée les roches métamorphiques de la base des ophiolites de la Néotéthys et d’investiguer le plancher océanique de l’Océan Indien.

Références :

Rodriguez, M., Arnould, M., Coltice, N., & Soret, M. (2021). Long-term evolution of a plume-induced subduction in the Neotethys realm. Earth and Planetary Science Letters561, 116798.

Ont participé au travail d’écriture de cet article, en collaboration avec Maëlis Arnould, chercheuse en géodynamique interne (par ordre alphabétique) : Soumaya BENAZOUZ, Maame-Anokyewaa BONSU, Lou-Anne BRUILLON, Nahil CHEMAA, Yasmina DERDOUR, Jean FABBRO, Clarisse JUNG, Tikilogi KELETAONA, Appia LAULAN, Léonora LITT, Jules MASTRANGELO- -TIEN-HONG, Paul MERCKEL, Aaliyah NICULAU- -BUNWAREE, Yamanda NOURA, Sam OGWANG, Antoine PARAISO, Hervé RIEHL, Claire SCANDELLA, Tiffany STIEVENARD, Romane STOHRER,Christ TESSANI, Maxime ZEMKE.

Comment citer cet article : Maëlis Arnould et la terminale spécialité SVT du lycée Sainte Clotilde (Strasbourg, FR), Un panache mantellique à l’origine de la fermeture d’un océan, Journal DECODER, 2023-01-25

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